Depuis plus d'un siècle, les carrières sous Gauriac, dites en langage du pays, Rouqueys, fournissent la pierre aux constructions de Bordeaux, celle provenant de cette ville ayant été rapidement épuisée. La pierre, en Gascon s'appelle la Roque. On appelle de même toute le côte, depuis Plassac jusqu'à Bourg. Elle est exploitée par des carriers, qu'on appelle ici pierriers.
Les carrières de la meilleure qualité, et par conséquent les plus exploitées, sont celles de Gauriac et de Bayon. Ce sont deux paroisses contiguës dans le district de Bourg, à 5 lieues NNE de Bordeaux. La première est située sur la Gironde et l'autre sur la Dordogne. Les carrières de celles-ci sont au confluent de cette rivière. Celles de Bayon sont préférées pour l'exploitation. Elles fournissent ce qu'on appelle la Roque de Tau, pierre ainsi nommée, parce qu'on la tire dans le territoire de la seigneurie de Tau. Il en est parlé dans le tome VI des Variétés Bordelaises, dans l'extrait d'un titre de 1363, sous le nom d'Ayquem de Gauriac, de Taur en Borsez.
Dans la série des carrières citées dans l'Encyclopédie on voit, avec étonnement, qu'il n'y a que celle situées près de Paris qui sont célébrées. Cet oubli ne serait-il pas dû au préjugé qui fait croire aux habitants de cette ville qu'il n'est rien de beau et de bon que ce qui en sort.
La pierre de la Roque excellente pour être de province, est d'un blanc jaune tendre, passablement pleine, de couleur égale, sans veine et d'un grain friable quoique gros. On éprouve sa qualité, en l'exposant à l'humidité pendant l'hiver, après qu'elle ait été extraite des carrières. Si elle résiste à la gelée, sans se fendre, comme le disent les maçons, on peut l'employer en confiance. Lorsqu'elle est très poreuse, l'eau en se gelant la fait éclater.
Nous avons visité dans le plus grand détail les carrières de la Roque et voici les réflexions qui résultent de cet examen. Puissent-elles occuper assez l'administration pour qu'on remédie aux abus que nous dénonçons.
On fait travailler trop tôt les enfants à voiturer des pierres hors des carrières. On devrait, pour l'intérêt de la population, défendre d'y introduire la jeunesse avant l'âge de douze ans et jamais les petites filles. Nous avons souffert de voir de très jeunes enfants de l'un et l'autre sexe, roulant une brouette sur laquelle était une pierre pesant plus de 80 livres (environ 40 kg). Aussi, ils sont bientôt voûtés et rabougris.
La route qui conduit au fond des carrières, devrait avoir au moins 5 pieds (environ 1,6 mètre), tant en hauteur qu'en largeur. On la tient plus étroite, quand la pierre qu'on en sort est de mauvaise qualité. Alors on fait le passage le plus étroit possible. Aussi, quand on voyage dans les sinuosités de ces carrières, on est souvent obligé de se traîner sur le ventre et communément de se tenir courbé.
Il devrait être enjoint aux carriers de faire de temps en temps des ouvertures à la superficie, soit pour introduire quelque lumière dans ces souterrains, soit pour que l'atmosphère y fût à la température ordinaire, soit pour procurer une issue aux ouvriers lorsque, par des éboulements derrière eux, leur passage est fermé. Ce serait pareillement une mesure de sûreté publique, que l'entrée des carrières fut fermée la nuit par une porte afin que les mal intentionnés ne puissent s'y soustraire aux recherches.
Pierre BERNADAU homme de loi et membre de plusieurs académies
Antiquités bordelaises, ou tableau historique de Bordeaux, et du département de la Gironde
Ouvrage utile aux habitants, indispensable aux voyageurs et qui manquait à ceux qui veulent connaître les monuments et les localités remarquables dans le Bordelais.
Chez Moreau, imprimeur, rue des Remparts, près la Porte-Dijeaux, N° 54 - Publié en 1797
Texte (page 126 et suivantes) adapté de l'ancien français.