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Village de Haute-Gironde

 

 Mme LOPENAGUE

 
1937

Nous sommes en 1937. La rentrée scolaire, fixée à cette époque au 1er octobre, approche. J'attends avec impatience ma nomination pour l'année. Enfin, le 28 septembre, elle arrive. Je lis Saint Genès de Blaye. Je me précipite sur la carte pour situer cet endroit par rapport à Blaye, et surtout j'essaie de trouver un moyen pour m'y rendre, en l'occurrence l'autobus.

Me voici à Saint‑Genès, je cherche la Mairie, qui était fermée ; on m'indique la maison du Maire ; celui‑ci est tout étonné de me voir, car il n'y a­vait aucun poste vacant dans la commune. Je mon­tre ma nomination. Je n'avais pas fait attention à ces mots : île Bouchaud. En effet, cette île fai­sait partie de la commune mais on ne pouvait y al­ler depuis là. Une école sur une île ! Je tombais de haut ; donc pour rejoindre cette île, il fallait se rendre à Blaye et trouver le batelier qui assu­rait la traversée. Bien aimablement, M. le Maire me reconduisit à Blaye, m'indiqua l'emplacement du lieu d'embarquement. Il me dit aussi que je n'avais qu'à me rendre chez le boulanger du quai, car le batelier venait prendre le pain tous les jours et il m'apprit aussi qu'étant en zone viticole la rentrée n'avait lieu que le 15 octobre. Enfin une bonne nouvelle ! Comme depuis Blaye il y avait as­sez d'autobus, je retournai donc à Bordeaux.

Le 15 octobre arriva très vite ; un peu dans l'angoisse, mais bien heureuse d'avoir du travail, je partais vers l'inconnu. Chez le boulanger, je trouvai le batelier qui me conduisit vers le ba­teau. C'était un canot à moteur où pouvaient prendre place cinq à six personnes. Ce jour là je crois qu'il y en avait trois ou quatre qui é­taient venues faire leurs courses à Blaye. La tra­versée dura demi‑heure. La marée étant haute, le bateau put accoster au bout de la jetée. C'était un passage en bois, sur pilotis. Lorsque la marée était basse, il fallait descendre par une échelle pour monter dans le bateau. De la jetée partait une petite route qui conduisait à la partie habitée de l'île, trois ou quatre cents mètres plus loin environ.

Du côté droit de la route, il y avait une vaste cour avec la partie droite occupée par les logements des ouvriers ; le fond par les dépen­dances, c'est à dire l'écurie, l'étable, le matériel agricole et de l'autre côté de la cour se trouvaient le cuvier, les chais, etc..

M. REAULT, c'était le batelier et le seul nom dont je me souvienne, me conduisit chez le ré­gisseur et sa dame. Leur maison était située au bout du chemin venant de la rivière ainsi que celle du batelier.

Le régisseur et sa dame étaient des personnes qui pouvaient avoir, à peu près, la cinquantaine. Ils étaient de belle taille, ils me reçurent aima­blement et m'invitèrent à manger.

Pourquoi un régisseur ? Eh bien, parce que cet­te île était une propriété privée. Elle appartenait à M. DAMOY, qui avait demandé une école pour les enfants des ouvriers. Sur l'île on cultivait sur­tout la vigne ; j'appris ensuite qu'il y avait aus­si des champs d'artichauts et de l'élevage et, com­me sur la plupart de ces grandes propriétés, il y a le régisseur qui est en fait le maître. Vivaient là, aussi, une dizaine de familles qui travaillaient sur l'île.

La principale culture était cependant la vi­gne qui donnait les vins Damoy. Ces vins, je les connaissais. À cette époque, il y avait un grand ma­gasin de vins Damoy situé au coin de la rue Michel Montaigne et de la Place des Grands Hommes à Bor­deaux. Nous étions voisins et, dans mon enfance et jusqu'à la disparition du magasin, j'y passais de­vant une ou deux fois par jour.

Ma classe et mon logement étaient situés au début de la cour, c'est à dire que la classe était la première pièce de la rangée de logements. À côté, ma cuisine avec, au‑dessus, ma chambre et à la suite les habitations des ouvriers. Le tout se te­nant.

La pièce qui servait de salle de classe ouv­rait d'un côté sur la cour des habitations et de l'autre côté sur la cour de récréation. Il y avait un préau et, à la suite, les jardins des ouvriers. Il y avait des bureaux noirs avec le siège tenant à la table. On pouvait mettre une vingtaine d'en­fants. J'en avais dix-huit, de cinq à quatorze ans. Les enfants étaient bien tenus dans l'ensemble et je n'ai eu aucun problème avec les parents.

Me voilà donc sur l'île, mais comment en sor­tir ? Il m'était impossible d'avoir un autobus à Blaye, le samedi soir, après la classe. D'autre part, je ne pouvais rentrer assez tôt pour le lundi ma­tin. Cependant, le régisseur, impossible de me souvenir le nom, m'apprit qu'en faisant la demande à l'Inspecteur, je pouvais obtenir, en faisant clas­se le jeudi, d'avoir le samedi après‑midi et le lundi matin. L'autorisation me fut accordée, je pouvais donc retrouver la terre ferme en fin de semaine.

Sur le côté gauche de la route, à environ 60 mètres, parmi de grands arbres, il y avait le château. C'est là que venait, fort rarement d'ailleurs, le propriétaire de l’île. Le château était une fort belle maison avec un étage. Pendant la période des vendanges et de la vinification, une partie du premier étage était occupée par un "ingénieur", je pense un œnologue, qui venait de Paris. Avec lui il y avait sa femme et leurs enfants. C'était un couple jeune et, comme les enfants venaient à l'école, je liais vite connaissance avec la dame. Tout comme moi elle s'ennuyait. Elle ne parlait à personne car l'entente ne régnait pas entre le château et le régisseur, aussi était‑elle tout heureuse de trouver une compagnie. Après la classe, je partais la retrouver et je passais souvent la soirée au château. Elle avait un phonographe, nous écoutions de la musique, nous bavardions, les soirées passaient vite.

Mais un mois, c'est vite passé et dès le 11 novembre je me retrouvais seule avec pour seule compagnie mon travail et mon feu de cheminée et, comme j'avais tout le bois que je voulais, je ne m'en privais pas.

Le soir, lorsque j'avais besoin de quelque chose, je portais ma commande chez le batelier, je faisais un brin de causette avec sa femme ; quelquefois, je m'arrêtais parler avec la dame du régisseur. Je dois dire que, bien qu'étant aimables, je ne me sentais pas à mon aise avec eux et nos relations étaient surtout de politesse. D'autre part, j'appris que je n'étais pas la seule, sur une île, a faire la classe.

En face de Blaye se trouvait l'île Nouvelle, aussi appelée " île Sans Pain", je ne me souviens plus pourquoi. Je crois que l'on y élevait des chevaux. C'était une camarade de classe qui y était. Elle avait au plus huit élèves et ne se plaignait pas car elle était à dix minutes de Blaye où on la conduisait quand elle voulait.

Moins chanceuse fut une autre camarade nommée sur l'île Patiras. Cette île se situe face à Pauillac. On y faisait, je crois, de l'élevage. La population changeait souvent, c'étaient des nomades. Il arrivait que l'on lui lance des cailloux dans ses contrevents, ou qu'on  l'insulte. En plus, un bateau ne venait que deux fois par semaine pour ravitailler l'île. La pauvre petite avait fait venir sa mère avec elle pour essayer de tenir le coup. Ont-elles réussi ? Je ne l'ai pas su.

Face à Bourg sur Gironde, il y avait l'île Verte. De mon temps il n'y avait pas de classe. Mais après la guerre il y en eut une, même avec un instituteur heureux. Il y resta longtemps. Il aimait la chasse et la pêche !

Après les vacances de Noël, le plus long restait à faire. Il fallait passer l'hiver. Le vent soufflait parfois fort et lorsque approchait la fin de la semaine, j'étais angoissée à l'idée de ne pouvoir traverser. Le samedi après‑midi, le batelier faisait la traversée spécialement pour moi ; s'il décidait de ne pas partir, il fallait que je reste. Je dois dire que cela ne m'est jamais arrivé. Les gens de l'île m'avaient dit que s'il partait, je pouvais avoir confiance. C'était un homme peu bavard ; cependant, le samedi, il me racontait des choses sur l'île, je les ai oubliées, car il y avait longtemps qu'il vivait là. Je dois dire que l'on avait intérêt a avoir un imperméable et des bottes, car il y avait des traversées houleuses et nous étions bien arrosés. Mais que n'aurais‑je supporté pour m'évader un peu !

Les vacances de Pâques passées, il fallait encore aller jusqu'au 31 juillet. Mais le beau temps aidant, cela remontait le moral.

Jusque là, je ne m'étais jamais aventurée sur l'île. Je savais que l'on y cultivait la vigne, les artichauts, qu'il y avait des prés ; mais je n'étais jamais allée plus loin que la jetée. Enfin, par une belle après‑midi de beau temps, je décidais d'aller faire une "classe promenade" comme l'on disait à cette époque. Les enfants connaissant l'île mieux que moi m'indiquèrent où passer. Après avoir marché un moment, on décide de faire une petite halte près d'un pré où paissaient des vaches. Nous étions à peine arrêtés que, du fond de pré, fonçant tête baissée dans notre direction, arrive une bête furieuse. Pas besoin de vous raconter la course qui s'en suivit pour nous. Lorsque nous avons été en sécurité un enfant dit « ce devait être le taureau ». Il y avait sans doute une clôture, mais nous n'avons pas pris la peine de vérifier. De ce jour, nos promenades furent terminées.

Après la classe, j'allais quelquefois au bout de la jetée ou marcher au bord de la rivière. De là, je voyais la terre ferme et quelquefois j'entendais une cloche sonner. J'avais l'impression d'être dans un autre monde. Ensuite, je repartais faire mon travail et attendre que les jours passent. Tous les jours sur mon calendrier je barrais le jour présent et comptais et recomptais combien il me restait à faire, quand un jour une bonne nouvelle arriva,c'est le batelier qui portait le courrier ; désormais, les vacances commenceraient le 14 juillet.

Quinze jours en juillet, quinze jours en octobre, j'avais gagné un mois !

Quelques années plus tard, avec le recul du temps, je me dis que j'aurais pu avoir pire. Combien de petits villages de Gironde étaient encore plus isolés n'ayant ni train, ni autobus. Pour moi, arrivée à Blaye il n'y avait plus de problème. Aujourd'hui, avec les autos et les regroupements, le problème n'est plus le même.

Tout cela se passait il y a un demi‑siècle ! Les îles sont toujours là, les vins Damoy n'existent plus. Sans doute y‑a‑t-il encore des habitants sur les îles, mais des écoles je ne le pense pas.

Mme LOPENAGUE
Articles parus dans le Journal de Gauriac n°17 et n°18