urgence4  plan4    car4    circulation4    meteo4    maree4    air4   pollen4    loupe 

gauriacS
Village de Haute-Gironde

 

Le long de la corniche de la Gironde, à Furt, près du restaurant, une épave dépasse de l'eau, même à marée haute. Il faut l'avoir vue un petit matin d'automne, quand elle se détache dans la brume qui recouvre à la fois l'île, l'eau et la route. Le Frisco, bateau fantôme, garde le secret de son histoire.

Il est là depuis août 1944, suite à son sabordage par la marine allemande.Trois Gauriacais nous racontent, chacun à leur manière, cet évènement.

 


Les faits, comme je les ai vécus

René LEPAS avait alors 18 ans.

Ce jour là, le Frisco, un pétrolier italien, faisait escale au dépôt de Furt, pour y remplir ses soutes. À la nuit tombée la résistance s'empara sans difficultés de l'équipage qui fut emmené dans la commune voisine de Comps, où le commandant CAILLEUX, qui dirigeait ce groupe de FFI, avait une propriété.

Je n'ai connu cet évènement que le lendemain matin. Du même coup j'apprenais que le groupe, de FFI dont faisait partie entre autres Raymond GENTET, Jean DEJEAN et Raymond MAGNEN, était posté au "Chêne vert", qui domine Furt, pour surveiller le bateau. J'avais dix huit ans à l'époque et je décidais de les rejoindre pour leur porter à boire. Je restais avec eux une partie de la matinée.

Les allemands qui commençaient à se faire discrets sur la terre ferme, tenaient encore assez bien l'estuaire grâce à leur marine. Un bateau allemand, je pense que c'était un contre-torpilleur, se présenta à vitesse réduite. Il avait repéré le Frisco, sans équipage, amarré au caisson de Furt. Coincé dans l'étroit chenal de navigation qui longe l'île Verte il ne pouvait pas s'approcher du bateau vide. On le vit mettre à l'eau une embarcation avec quelques hommes à bord qui eurent tôt fait de rejoindre le pétrolier. Nous avons vite compris leur mission, ils étaient venus couler le navire.

Sur le pont du Frisco, les marins allemands étaient à portée de tir des FFI, postés juste au dessus. Fallait-il tirer pour pouvoir récupérer le Frisco tout en éliminant quelques allemands, ou ne pas tirer évitant ainsi la canonnade de riposte du contre-torpilleur sur Gauriac. Je me souviens d'une discussion serrée. Finalement l'avis du commandant Cailleux l'a emporté les FFI n'ont pas tiré. Le Frisco a coulé. Son épave est toujours là.

L'après Midi du même jour, ou le lendemain, je ne me souviens plus bien, les allemands ont évacué le dépôt de mines du Mugron.

Cette évacuation rendait inquiets les Gauriacais. Beaucoup avaient peur que les allemands ne fassent tout sauter ce qui, du fait de la communication entre les carrières souterraines, aurait mis en péril tout le village. D'ailleurs, depuis plusieurs jours beaucoup de gens, des jeunes surtout, quittaient la nuit leur maison pour aller dormir à la belle étoile du côté de Comps. Le jour on avait moins peur car on pouvait voir depuis la route ce que mijotaient les allemands au Mugron.

Le jour de l'évacuation, avec d'autres j'étais venu me cacher derrière le mur de la vigne Bouneau en face de l'école. Ce mur et la vigne ont aujourd'hui disparu pour laisser place au pré situé entre la poste et le gymnase. De là on pouvait voir les camions allemands prendre la direction de Bordeaux. Quand le gros de la troupe eût passé on entendit une déflagration du côté du Mugron. Les allemands venaient de faire sauter les entrées de carrières ce qui interdisait, du moins momentanément, tout accès. Heureusement et semble t il, contrairement aux ordres, ils n'avaient pas fait sauter les mines elles mêmes, épargnant ainsi Gauriac. Quelques minutes plus tard on vit les artificiers à moto prendre la même direction que les camions.

Ce fut la dernière fois que l'on vit des soldats allemands à Gauriac. Quand aux mines elles sont restées là pendant quarante cinq ans jusqu'à ce que l'actuelle municipalité ne parvienne à les faire enlever.

Propos recueillis par Raymond RODRIGUEZ
Le Journal de Gauriac (n° 23 - mars 1995)


 

Les faits, tels qu'ils se sont vraiment passés

André JOLIT, Lieutenant Colonel, chef de la Résistance dans le Blayais
(voir l'article André JOLIT : une figure de la Résistance)

Un fait de résistance parmi bien d'autres, a été diversement interprété et mérite sa relation sous forme de mise au point. Il s'agit du cargo Frisco coulé pendant la guerre et dont l'épave demeure au droit, du lieu-dit Furt, en bordure de la Gironde, dans la commune de Gauriac.

Pendant l'occupation de 1940-44, les allemands ont pris différentes mesures pour interdire l'accès éventuel du littoral et de l'estuaire aux alliés, au moyen de blockhaus et de champs de mines le long du littoral et par la mise en place de bateaux désaffectés à chaque estacade ou appontement dans l'estuaire. Ces derniers, sans grand intérêt stratégique (gardés sommairement), devaient en cas d'invasion être sabordés sur place interdisant toute utilisation des installations portuaires par les alliés.

Ces mesures, entrant dans un plan plus élaboré établi par les allemands, étaient connues de la Résistance et des contre-mesures étudiées à chaque niveau de responsabilité locale. Pour le Blayais le cargo Estonien ou Lithuanien Frisco entrait dans ce contexte. Le Chef de la Résistance pour le Blayais (Corps Franc Marc), informé de cette situation, avait prévu des dispositions particulières devant être exécutées par le groupe local de Résistance. C'est pourquoi le groupe de Gauriac commandé par Jean Labadie avait reçu l'ordre de capturer les quatre ou cinq italiens gardant le bateau et de larguer les amarres du Frisco, afin que ce dernier rende libre l'estacade en bois du dépôt de carburant de Furt et aille échouer plus loin.

 L'épave du Frisco en septembre 1948 (photo IGN)

On distingue encore deux des trois mâts du navire et sa cheminée. Observer aussi les deux appontements du dépôt de carburant, rendus inutilisables, et, sur la berge, les cuves circulaires de produits pétroliers. Au delà des vignes la route est la RD 669.

Monsieur Jean Labadie avait parfaitement compris les raisons de cette opération qui a priori pouvait paraître pour le moins surprenante. Il devait l'exécuter dès qu'il en recevait l'ordre. Cet ordre ne venant pas, du fait de la mise hors de combat du chef de la Résistance (à Berson, le 19 août 1944) et de la méconnaissance par les successeurs de tous les plans et opérations prévues soigneusement, Monsieur Jean Labadie, voyant partir les allemands, a pris l'initiative d'exécuter l'ordre reçu avec son groupe.

L'« équipage », ou plutôt les gardiens se sont rendus sans difficulté et le groupe se préparait à libérer le cargo de ses attaches, comme l'ordre le précisait, quand arrive sur le terrain revêtu de son uniforme (sorti pour la circonstance) le Commandant Cailleux, faisant grand tapage et prenant pour une initiative malheureuse ce qui n'était qu'un ordre formel et réfléchi. Malgré les explications du responsable Jean Labadie, le commandant faisant preuve d'une autorité dont il n'était nullement investi, donnait l'ordre de garder ce cargo " qui serait une prise pour la France ". Après quelques hésitations et réflexions, le groupe de Gauriac obtempérait et le bateau restait attaché.

Ce qui devait arriver arriva et la marine allemande, en exécution des plans prévus, venait saborder le cargo de Bourg-sur-Gironde et le Frisco à Furt. Fin août 1944, le groupe de Gauriac, ne pouvant affronter un navire de guerre, a assisté impuissant à ce sabordage. Depuis, cette épave interdisant tout accostage important à ce dépôt, est en partie responsable de sa fermeture.

La relation ci-dessus reflète la réalité sur cette affaire très simple, dont l'exécution a été contrariée par l'intervention inopportune d'un tiers, peu au fait des intentions et actions de la Résistance.

André JOLIT
L'Estuarien n° 2 - septembre 2002


Ma journée du 27 aout 1944

René COUTEAU, un acteur

Le 25 août, je greffais des pêchers chez M. SOUFFRON à Plisseau, commune de BAYON. M. VIDEAU, un voisin (j'appris plus tard qu'il était délégué du PCF sur le secteur), me propose de prendre l'apéritif avec lui, ayant besoin de me voir. Nous avons discuté un moment et il me confirme qu'il a absolument besoin de moi. " Les Allemands veulent faire sauter le pétrolier à Furt le 27 ; il faut que tu transportes sur ton vélo un fusil mitrailleur jusque sur la crête dominant le fleuve en amont du château Poyanne. "

Il s'agissait, partant de Plisseau, de passer par Serquin, le Chemin de la Vierge, le Chemin de la Mayanne jusqu'à Poyanne avec le vélo chargé du fusil mitrailleur ! Je suivrai la route accompagné du chef boulanger de la boulangerie ARNAUDIN.

Le 27, sur place de bonne heure, nous attendions l'arrivée des Allemands. Nous dominions le pétrolier. Vers 10h30, un bateau monté par 5 Allemands et armé d'une mitrailleuse, s'est avancé, ils venaient de couler le pétrolier à Bourg sur Gironde. Nous avons ouvert le feu, le fusil mitrailleur s'est enrayé, les Allemands se sont couchés dans le bateau, un s'est mis à la mitraillette.Nous nous sommes tapis sous les arbres. Les Allemands sont descendus sur le pétrolier. Nous avons quitté les lieux en rampant dans les vignes, laissant le fusil mitrailleur dans un puits d'aération de carrière.

De retour à la maison, une heure après, vers midi, une lourde explosion retentit, le pétrolier s'est enfoncé dans le fleuve.

Propos recueillis par Jean-Guy BERTAUD
Le Journal de Gauriac (n° 62 - juillet 2004)


Chronologie des évènements dans la presse

Sous le titre " GAURIAC L'activité des F.F.I. " le journal La petite Gironde a publié, en septembre 1944 semble-t-il, la chronologie suivante :
" Le 22 août, à 8h, occupation du chantier allemand de Roque de Thau, protection contre les pillards.
Le 22 août, à 22h, prise du bateau citerne italien " Frisco ". Quatre prisonniers allemands dont le commandant.
Le 23 août, protection de l'estacade de Furt, la seule intacte de la région.
Depuis le 23 août, opérations quotidiennes de police, patrouilles, amélioration du ravitaillement, lutte contre le marché noir.
Le 3 septembre, organisation d'une cérémonie patriotique impeccable au monument aux morts et à la mairie. "

Ce court article ne fait pas mention du sabordage qui a eu lieu en août 1944. Par ailleurs, l'équipage n'était pas allemand mais italien. Reste un problème de date. Pour René Lepas, le Frisco a été sabordé le lendemain de la capture de l'équipage soit, apparemment le 23 août d'après cet article, alors que d'autres sources parlent du 25 août. Quant à lui, René Couteau le situe le 27 août.

La petite Gironde (septembre 1944 ?)


Ultime demande de renflouement en 1981

Sur le registre du Conseil municipal de Gauriac, on peut lire à la date du 30 avril 1981 :

" Le Conseil municipal, demande avec insistance à Monsieur le Préfet de la Gironde d'examiner la possibilité de faire enlever l'épave du Frisco au lieu-dit Furt, commune de Gauriac. Bateau que les allemands ont fait sauter durant la guerre de 1939-45. De ce fait le port de Marmisson est paralysé. Cet obstacle fait barrage, détourne les courants et fait s'envaser le port. Les pêcheurs professionnels ne peuvent plus débarquer le produit de leur pêche.

Si cette épave était enlevée, le désenvasement se ferait naturellement par la reconstitution des courants.
À ce moment, la commune pourrait faire réparer l'ancienne estacade qui servirait :
1. pour nos pêcheurs professionnels ;
2. pour le tourisme fluvial, très actif dans l'estuaire, en bordure de la Route Verte. "

Quelques semaines plus tard, la Préfecture fit savoir qu'elle n'envisageait pas l'enlèvement de l'épave, jugeant l'opération trop coûteuse.

Ce fut l'ultime demande d'enlèvement. L'épave du Frisco fait désormais partie du paysage. C'est une curiosité touristique, un perchoir pour les oiseaux marins et un refuge pour la faune aquatique.

La rouille et le temps font leur œuvre. Au début des années 1990 la mât arrière s'est couché.


 Le Frisco d'avant le sabordage

 

Le Frisco, alors qu'il s'appelait encore le W.S. Porter.

Le FRISCO  était un pétrolier à vapeur construit par les chantiers Newport News Shipbuilding & Dry Dock Co. Il a été lancé le 25 août 1906 pour la Saginaw Oil Co. de Monterey (USA) sous le nom de W. S. PORTER et sous pavillon US.

Dès l'année suivante, il subit de graves dommages dans un ouragan en novembre 1907 comme le rapporte la presse américaine de l'époque. "Le pétrolier à vapeur WS PORTER, qui naviguera aujourd'hui de Monterey pour Honolulu, a rencontré un ouragan terrible sur son chemin de l'île Douglas à Monterey. Le Porter transportait une cargaison de pétrole. Il est arrivé à Monterey il y a quelques jours. Les dégâts infligés par l'ouragan qui menaçaient d'engloutir le pétrolier ont été limités aux ponts et aucune partie vitale du navire n'a été touchée. Les réparations, qui coûteront près de 110 000 $, seront faites au port d'Honolulu. Le pont du steamer était déplacé et un canot a été brisé. Portes et fenêtres ont été éclatées, les cabines inondées. Aucun membre de l'équipage n'a été blessé et les réparations temporaires ont été faites pour que le WS Porter soit en mesure de faire le voyage depuis Honolulu".

Plus tard, toujours aux États-Unis, il est armé par l'Associated Oil Co. de San Francisco avant d'être vendu en Italie en 1925. Il bat donc alors pavillon italien sous le nom de FRISCO (1) pour l'armement G. Chiarella (Petroleum Societa Anonima di Navigazione). Réquisitionné pour la guerre, il sera utilisé par les Allemands à Bordeaux.

(1) Frisco est un surnom parfois utilisé par les touristes pour désigner la ville de San Francisco sur la côte Pacifique des États-Unis. C'est aussi le nom de six villes de États-Unis.

Informations transmises par Janine POUILHE
Le Journal de Gauriac n° 100 avril 2014

Le 10 juin 1940, quand éclate la Seconde Guerre mondiale, le Frisco navigue dans l'océan Atlantique au large du Brésil. Son pavillon italien, allié de l'Allemagne nazie, en fait un ennemi pour la Royal Navy qui contrôle les côtes de l'Amérique du Sud. Le 20 juin 1940, il parvient cependant à trouver refuge dans le port neutre de Fortaleza dans l’état de Ceará, au nord du Brésil.

C'est en février 1941 qu'il reçoit l'ordre de retrer en Europe. Après de longs et méticuleux préparatifs, il quitte Fortaleza dans nuit du 28 au 29 mars 1941 et parvient à forcer le blocus britanique avec 5 800 tonnes de naphta dans ses cales. Après un mois de navigation, il atteint les côtes françaises à Saint-Nazaire. Il rejoint ensuite la base de sous-marins italiens de Betasom à Bordeaux où sont stationnés d'autres briseurs de blocus. Deux ans plus tard, quand la base sous-marine passe sous pavillon allemand, le Frisco est affecté au ravitaillement en carburant des navires de la Kriegsmarine. Il assumera cette fonction jusqu'à son dernier voyage qui le mènera à Gauriac.

D'après Bernard Beair et Robert Baldès
Le Journal de Gauriac n° 135 et 136 de l'hiver et du printemps 2023
Source : conlapelleappesaaunchiodo.blogspot.com/2020/05/frisco.htm

Fiche technique du bateau

- N° officiel : 203629
- Dimensions : longueur 117 m ; largeur 15 m
- Vitesse : 11  nœuds (environ 20 km/h)
- Jauge brute : 4902 tonneaux (environ 14 000 m3)
- Machine : 1 moteur à vapeur à triple détente comportant 3 cylindres : 28 pouces pour le premier (environ 71 cm), 44 pouces pour le second (environ 112 cm) et 47 à 54 pouces pour le troisième (environ 119 à 137 cm) ; un seul arbre et une vis.

Dans un moteur à vapeur à triple détente, la vapeur se détend successivement dans trois cylindres en cascade et de plus en plus gros. La vapeur issue du cylindre haute pression se détend ensuite dans un cylindre moyenne pression qui se détend à son tour dans un cylindre basse pression. Cette disposition évite de libérer à l'extérieur une vapeur à température encore suffisante pour être recyclée. On améliore ainsi le rendement du moteur et l'autonomie du navire.

Sources  :
- http://www.archeosousmarine.net/bdd/fichetech.php?id=1644
- http://www.wrecksite.eu/wreck.aspx?2151
- The World's Merchant Fleets, 1939